Le Gâteau de Savoie

Léger, moelleux, simple à préparer, cette pâtisserie traditionnelle, vieille de sept siècles, a depuis longtemps débordé le cadre de la région qui lui donne son nom.

L’origine du gâteau de Savoie n’est pas de celle qui se perdent dans la nuit des temps. Il se trouve que la tradition nous renseigne sur la date et les circonstances exactes de sa naissance. C’était en 1365, à Chambéry, capitale des comtes de Savoie – lesquels ne deviendront ducs qu’en 1416. Derrière les hauts-murs du château, on s’active avec fièvre pour accueillir avec les honneurs dus à son rang Charles IV, empereur du Saint-Empire germanique et suzerain de la Maison de Savoie. Le comte Amédée VI, dit le Comte-Vert, entend se montrer digne de son auguste visiteur. La diplomatie étant souvent une affaire de bonne chère, il demande à son cuisinier – pardon, son maître-queux – de mettre les petits plats dans les grands. Ici, les sources divergent. Pour certaines, le chef des cuisines comtales se nomme Pierre de Belleville, originaire de Tarentaise, quand d’autres évoquent un certain Pierre d’Yenne, de l’Avant-Pays savoyard.

Bref, le maître des fourneaux, conscient de ses lourdes responsabilités, met au point une préparation de son cru, qui sera servie à la table impériale au milieu de « divers mangiers et plusieurs entremès », comme le rapporte une chronique anonyme de l’époque. L’innovation culinaire ne s’embarrasse pas de fioritures : des œufs, de la farine, du sucre, un zeste de citron, what else ? On ignore si la recette contenta le palais impérial de Charles IV. L’essentiel n’est pas là : ce banquet de 1365 marque l’acte de naissance du gâteau de Savoie.

Cette histoire relayée au fil de siècles est-elle véridique ? Peu importe. C’est ainsi que la tradition nous l’a transmise et, pour reprendre l’expression consacrée, « quand la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende ».

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La France conquise

Jusqu’au XVIIIe siècle, la renommée du gâteau, ou biscuit, de Savoie ne semble pas s’étendre au-delà des limites du duché. Mais le Siècle des Lumières l’éclaire d’une aura nouvelle. Dans la France voisine, il devient un mets apprécié de la haute et petite noblesse comme de la riche bourgeoisie. C’est simple, « il est adopté partout, lit-on dans un article de la Revue de Savoie daté de 1943. À toutes les tables on le sert, et les amphitryons de grande envergure l’honorent de leur choix. » Toutes les tables, même la plus prestigieuse : le gâteau de Savoie figure ainsi parmi les 40 (!) « entremets froids » servi en 1745 à un banquet à l’Hôtel de Ville de Paris en présence de Sa Majesté Louis XV.

Au siècle suivant, c’est au tour du peuple d’être conquis. La recette est popularisée auprès des ménagères grâce aux ouvrages culinaires, qui connaissent un grand succès. Certes, Brillat-Savarin, le « prince des gourmets », pourtant natif de la Bresse voisine de la Savoie, la dédaigne mystérieusement dans son célèbre livre La Physiologie du Goût. Mais un autre grand gastronome, Grimot de la Reynière, la mentionne à plusieurs reprises dans son Almanach des Gourmands, une publication annuelle abondamment diffusée dans toute la France. Complimentant un célèbre pâtissier parisien de la rue Saint-Honoré, il écrit en 1809 : « Il est à croire que M. Benaud n’en restera pas là. C’est le vœu de tous ceux qui auront goûté de ses pâtisseries légères, de ses gâteaux de Savoie aériens si renommés pour leur délicatesse. » « Aérien », le gâteau de Savoie l’est devenu grâce à Antoine Parmentier (1737-1813). C’est en effet l’inlassable promoteur de la pomme de terre dans l’alimentation humaine qui a eu l’idée d’ajouter à la recette initiale de la fécule de pommes de terre pour lui apporter du moelleux.

La publicité faite par le populaire Almanach des Gourmands contribue à étendre l’aire de la notoriété du gâteau de Savoie. Pour preuve, il a l’insigne honneur d’être cité dans la 6e édition du dictionnaire de l’Académie Française, mise à jour en 1835. A l’entrée « biscuit », on lit : « Se dit aussi d’une sorte de pâtisserie appelée Biscuit de Savoie ». Un autre témoignage de ce que ce « biscuit » fait désormais partie du paysage culinaire français se trouve – se lit plutôt – dans Madame Bovary, publié en 1857 : la description d’une « pièce montée » servie à un mariage mentionne « au second étage un donjon en gâteau de Savoie, entouré de menues fortifications… » Preuve que le nom était connu jusque dans les verts pâturages de la Normandie, d’où écrivait Gustave Flaubert… À cette date, du reste, la recette avait déjà franchi la Manche. En 1848, Le Manuel de pâtisserie anglais se proposait d’initier les sujets de Sa Gracieuse Majesté la reine Victoria à l’art de confectionner les « Savoy biscuts » ! Plus tard encore, Emile Zola le citera encore dans l’Assommoir ou le Ventre de Paris : « Le dessert était servi. Au milieu, il y avait un gâteau de Savoie. »

C’était donc un repas réussi !

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