Ce colosse de Haute-Tarentaise s’imposa comme le plus grand champion des combats de lutte dans le Paris des années 1850. Véritable Dieu du Stade, son nom incarne la renaissance de ce sport hérité de l’Antiquité.
La lutte à travers les siècles
Dans les premières décennies du XIXe siècle, la lutte gréco-romaine connaît un regain d’intérêt, d’abord dans le Midi de la France. Les distractions sont rares, le sport en tant que tel, n’existe pas. Dans les foires et les fêtes foraines, au milieu des montreurs d’ours, des femmes à barbe, des tireuses de cartes, des funambules et autres spectacles de cour des miracles, apparaissent des combats mettant en scène des lutteurs. Sillonnant villes et campagnes, ces exhibitions fort prisées, attirent le chaland et remontent la vallée du Rhône, puis conquiert Paris à partir de 1848. Elle connaît d’emblée une vogue extraordinaire grâce à l’ouverture de la salle Montesquieu, antre des plus épiques combats entre les meilleurs lutteurs de l’époque. Dans ce Colisée populaire, les saltimbanques d’hier deviennent des athlètes reconnus.
La discipline est progressivement codifiée, afin de préserver l’intégrité des pugilistes : prises sous la ceinture, étouffements, torsions de doigts, coups de tête, crocs-en-jambe… sont interdits. Le vainqueur est celui qui parvient à immobiliser les deux omoplates de son adversaire au sol. La force, seule, ne suffit pas : l’adresse, la technique, le coup d’œil, la souplesse, l’endurance comptent tout autant. Ainsi naît « la lutte à mains plates », ou lutte française.
De la lutte au catch
En 1896, la lutte figure au programme des premiers Jeux olympiques de l’ère moderne, remis à l’honneur par le baron Pierre de Coubertin. Si elle prend le nom de lutte gréco-romaine, en référence à l’Antiquité, les règles reprennent en réalité celles de la lutte française. Au Jeux de 1904, apparaît la lutte libre. Elle dérive d’une variante anglo-saxonne, le « catch as catch can », aux règles moins strictes, autorisant par exemple les prises aux jambes. La lutte libre donnera naissance au catch.
Lutte gréco-romaine, lutte libre et catch partagent des prises communes. Parmi elles, la projection de l’adversaire à l’aide d’une saisie à la tête appelée « le coup d’arpin » (« snapmare » en anglais), du nom d’un des plus grands lutteurs du XIXe siècle, Arpin, dit le Terrible Savoyard.
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De ses origines, on sait peu de choses, si ce n’est qu’il est originaire de Haute-Tarentaise. À en croire certaines sources, il serait né en 1828 à Montvalezan. Même son prénom est sujet à caution : certains documents parlent de Joseph, d’autres de Pierre.
Il commence à se produire dans une baraque de foire à Lyon, où se retrouve la fine fleur des combattants. Le jeune montagnard doté d’une musculature impressionnante s’impose parmi ses pairs et y gagne le surnom du Terrible Savoyard.
Il « monte » ensuite à Paris et devient la star incontestée de la salle Montesquieu. Invaincu, il écrase toute concurrence. Sa popularité est exceptionnelle, à en croire ce portrait paru dans le journal L’Illustration, début 1853 : « Tous ses rivaux, il les avait défiés ; tous ses ennemis, il les avait vaincus ; il était fier, souriant et triomphant (…) Il était monté si haut que sa gloire surpassait toutes les autres gloires, et que, dans les conversations épiques du gamin de Paris, ce féroce admirateur du nerf et du muscle, il n’était question que d’Arpin, le terrible Savoyard (…) Il avait répandu une si grande terreur autour de son nom, qu’il avait fini par ne plus trouver un seul mortel qui osât se mesurer à lui. Il en était arrivé à ce point de confiance et d’enivrement qu’il offrait deux cents francs en guise de couronne à quiconque parviendrait à l’arracher de son piédestal. »
Ce jour arrive, en mars 1853… Henri Marseille est un meunier natif de Lapalud, dans le Vaucluse. Jeune et ambitieux lutteur, champion des tournois de Provence, il monte à Paris pour défier l’Hercule de Tarentaise. L’apprenant, Arpin, sûr de sa force, regarde l’impétrant de haut. Il n’y a souvent qu’un pas entre la confiance en soi et le péché d’orgueil. Car ce jour-là, devant les milliers de spectateurs chauffés à blanc dans la salle Montesquieu, l’invraisemblable survient : le combat est âpre, indécis quand « tout à coup, un Hourra ! retentit dans l’assemblée, rapporte l’Illustration. Un des deux adversaires a mordu la poussière. Lequel ? Et bien, c’est le vainqueur des vainqueurs, c’est le terrible Savoyard terrassé pour la première fois, c’est Arpin ! » Ce combat dantesque marquera les esprits pendant des générations. En 1919, la revue Lecture pour tous y fera encore référence !
Qu’advint l’idole déchue, le célèbre Arpin ?
Elle unit son destin à celui de son vainqueur. Marseille, qui a gagné le surnom du Meunier de Lapalud, crée peu après sa propre troupe de lutteurs. Outre Arpin, elle réunit les plus grands spécialistes de l’époque, aux noms de scène propres à exciter l’imagination : Bonnet, le Bœuf des Basses Alpes, James, le terrible noir de la Jamaïque, Crest, le Taureau de Provence, Deschamps, le Porteur d’avant-train… Tout un programme !
Ensemble, ils sillonnent la France et l’Europe, de Londres à St-Pétersbourg, de Bruxelles à Naples et même, semble-t-il, les États-Unis. Mais le Montagnard vieillit, sa force s’étiole…Tel un héros de la mythologie grecque, il serait mort en 1858, lors d’un combat disputé dans les arènes de Nîmes, l’échine brisée. C’est en tout cas ce qu’affirme le Journal du Loiret du 1er mars de cette année-là : « Arpin est mort ! Oui, mort, sur son terrain à lui, en plein champ de bataille, au beau milieu d’une lutte, sous les yeux de dix à quinze mille personnes. Quel vaillant lutteur c’était que cet Arpin ! »
Arpin : Plus qu’un lutteur, une légende
Vivant, il fut un Dieu du stade, en un temps où les stades n’existaient pas ; mort, il entra dans la légende. Dans son Voyage en Italie paru en 1866, le philosophe et historien Hippolyte Taine, admirant une statue d’Hercule à Rome, songe à « Arpin, le terrible Savoyard ». Mieux encore, son nom passa dans le langage courant : dans la première édition du Nouveau Larousse Illustré (1894) figure le mot arpin, signifiant « un lutteur de profession » !
Arpin a eu un digne héritier. Au mitant du XXe siècle, le Savoyard Félix Miquet, originaire de Montsapey, devint un des plus grands catcheurs du temps. Il fut, entre autres, champion du monde poids lourds et plusieurs fois champion d’Europe.
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4 Responses
Bonjour, Les archives utilisées pour cette partie de l’Almanach Savoyard sont elles toutes aux archives municipales d’AnneCy ou de Savoir? Je me passionne sur la lutte de la fin du XIXème siècle. En vous remerciant
Bonjour Guillaume,
Cet article est le fruit de nos recherches et rencontres à Seez d’une part et de la collecte aux archives des textes de presse de l’époque d’autre part.
Bonne journée
ce joseph est un de mes ancetres
je suis en train de reconstituer l arbre ge.ealogisue de ma famille notamment grâce à des documents donnés par mon père
j habite dans ce village de seez en haute tarentaise
Bonjour Arpin,
Je suis également lié à jospeh par ma grand mère, Lucie Arpin.
Pourriez-vous me contacter pour que je puisse en savoir plus sur cette légende dont on parle en famille ?
bfindeling @ gmail . com
Merci !