Savoyen, Savoisien, Savoyard

Depuis le moyen âge, les trois dénominations ont été en usage, successivement ou en même temps, pour désigner les habitants de notre région.

La première mention de la Sapaudiaterritoire correspondant grosso modo à notre province, se trouve dans un texte de l’historien romain Ammien Marcellin en 390. Le terme évoluera en SabaudiaSaboia puis Savoye ou Savoie. Mais comment a-t-on appelé au fil des siècles les habitants de cette contrée située au cœur des Alpes ?

Au commencement étaient les Savoyens.

La première indication écrite est relativement tardive. Au XIVe siècle, l’historien Froissart, évoquant un épisode de la guerre de Cent-Ans, note : « Tout seigneur approchait lointain et prochain, et vinrent li contes de Savoie et li contes de Genève à bien 700 lances de purs Savoïens. » Selon E. Pascalein, auteur d’une étude parue dans la Revue Savoisienne en 1888, son étymologie répond à une règle ordinaire de la langue française : « Les habitants de la Savoye sont logiquement les Savoyens (ou Savoïens), comme ceux de Troyes, en Champagne, sont les Troyens. »

À la suite de Froissard, le terme abonde dans la littérature du temps. En 1419, Jean d’Orville, chroniqueur du règne d’Amédée VIII écrit : « La paix avait duré un temps entre Savoyens et Faucignerains. » En 1447, Perrinet du Pin qualifie Amédée VII, dit le Comte Rouge, de « prince savoyen. » Et au temps des guerres médiévales, les chevaliers chargent au cri de « Toujours avant, Savoyens ! »

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Dès le XVe siècle apparaît un nouveau venu : savoisien. Sa naissance serait une conséquence de l’engouement pour l’Antiquité, caractéristique de la Renaissance : « Si les Espagnols se transformaient en Hispaniens et les Suisses en Helvétiens (Louise de Savoie, grande lettrée, désigne de la sorte les Suisses), écrit Pascalein, il n’y avait rien d’étrange à ce que les Savoyens devinssent des Savoisiens. » On le trouve pour la première fois sous la plume du poète François Villon (1431-1463) dans la Ballade des femmes de Paris « Mais soient Lombardes, Romaines, / Genevoises, à mes périls, / Piémontaises, Savoysiennes, / Il n’est bon bec que de Paris. » Ronsard à son tour le convoque dans son ode au mariage du duc Emanuel-Philibert avec Marguerite de France, sœur du roi Henri II : « Vivez ensemble, et d’un estroit lien / Joignez tous deux le sang savoysien / Et de Valois en parfaite alliance. » Les lettrés de Savoie l’adoptent bien vite, à l’image du plus illustre d’entre eux. Dans une lettre datée de 1615, François de Sales se dit « essentiellement Savoisien, et moi et tous les miens ; je ne saurais jamais être autre chose. » Forgé par les poètes et les savants, ce qualificatif, cependant, demeurera circonscrit au cercle, somme tout restreint, des classes élevées de la société. Le peuple lui, reste fidèle à l’ancien savoyen.

Tous deux finiront par être progressivement supplantés par un troisième vocable. Son triomphe est le fruit tardif et inattendu d’une décision politique. En 1562, Turin devient la capitale du duché au détriment de Chambéry. Or, en dialecte piémontais, les habitants de la Savoie sont appelés les Savoiardi (De même, en piémontais, les habitants du comté de Nice sont les Niçardi, qui a donné Niçard), qui va donner Savoyard. Le terme va franchir les Alpes à mesure que s’accroît l’influence piémontaise au sein des États de Savoie. Alors même que, longtemps encore, les Savoyens ou les Savoisiens continueront à s’appeler de la sorte (En 1793 encore, Joseph de Maistre publie ses Lettres d’un royaliste savoisien à ses compatriotes). C’est la singularité de Savoyard : ce mot étranger est à l’origine employé par les étrangers à la Savoie. Ainsi les Genevois : la fameuse chanson de L’Escalade, composée après l’échec de la prise de la ville en 1602, brocarde les assaillants d’un moqueur « Savoyards, gare, gare ! » Au XVIIIe siècle, le vocable se généralise partout en France, à l’exemple de Rousseau écrivant la Profession de foi du Vicaire savoyard. À Paris comme en province, il devient même, dans le langage courant, synonyme de ramoneurs ou de portefaix, ces petits métiers étant souvent exercés par les nombreux émigrés en provenance des villages alpins.

Ainsi, sous le double effet de l’administration piémontaise d’un côté, des émigrés de retour dans leur pays de l’autre, l’usage du terme Savoyard s’imposera peu à peu en Savoie même. Au début du XIXe siècle, les appellations plus anciennes sont quasiment éclipsées. Il en subsiste quelques souvenirs de nos jours, surtout dans le domaine culturel : le Musée savoisien de Chambéry ou la Revue savoisienne, publiée par Académie florimontane. Quant au médiéval Savoyen, il est à l’origine de l’allemand Savoyer, signifiant Savoyard.

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