Qui ne connaît la fameuse « tirade du nez » de Cyrano de Bergerac : « C’est un roc ! … C’est un pic ! … C’est un cap ! ». Comme le héros d’Edmond Rostand, Abondance pourrait se définir de mille façons : « C’est une abbaye ! … C’est un village !… C’est un fromage ! … C’est une vache ! ».
Rarement, en effet, nom de commune aura recouvert tant d’acceptions. Abondance peut s’enorgueillir d’être la seule localité française* à avoir donné son nom à la fois à une A.O.C. et à une race animale. Une singularité qui témoigne de traditions pastorales séculaires.
Sur les pentes du mont Chauffé, au hameau du Mont, à Abondance, nous discutons avec M. Damien Girard, un des producteurs fermiers d’Abondance, associé en GAEC avec son frère et son oncle :
– Avec une quarantaine de laitières, toutes des abondances, nous fabriquons une fois par jour, le matin, un Abondance fermier, identifiable à sa pastille de caséine verte, fromage à pâte pressée mi-cuite, fabriqué ainsi :
Le lait entier est chauffé à 32° dans un chaudron, on lui ajoute ferment et présure. Une fois mis en caillé, le lait coagulé est découpé, chauffé encore jusqu’à 48° et brassé. Enfin, c’est la levée du fromage à l’aide d’une toile de lin, qu’on va placer dans un moule en bois à bords concaves. On met sous presse pendant 24 heures. L’affinage en cave dure au minimum 100 jours. Les fromages sont retournés et frottés tous les deux jours avec de la morge – eau salée -, d’où la couleur orangée de la croûte. D’un diamètre de 40 cm, leur poids varie de 7 à 12 kg. Bien que les techniques et le matériel aient été modernisés, les gestes et le savoir-faire ancestraux demeurent inchangés. En raison de la nécessité de mise aux normes des salles de fabrication, seulement quelques agriculteurs produisent encore à l’alpage en été.
L’essentiel de nos ventes se fait directement à la ferme, le reste avec les commerces et restaurants. Notre chance est d’avoir obtenu l’A.O.C., ce qui a permis le maintien d’une agriculture de montagne. Mais allez donc rencontrer Barnabé Folliet, il a été l’un des acteurs de cette labellisation. Vous le trouverez au hameau de Sous le Pas, à l’entrée du village.
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Ce sont ces valeurs de partage, d’échanges, d’écoute qui ont permis à M. Barnabé Folliet, par sa persévérance, d’être à l’initiative de la reconnaissance actuelle du fromage Abondance. C’est cette histoire qu’il raconte :
– La transhumance des troupeaux et la fabrication de fromages ont toujours existé chez nous. Des documents du XIIIe s. font déjà état de conflits avec la vallée d’Aulps au sujet des limites pastorales ! Et la tradition veut qu’on ait servi du fromage d’Abondance en 1381 lors de l’élection du pape Clément VII au conclave d’Avignon. Sur deux peintures du cloître, on distingue un personnage portant une planche avec des vacherins dessus, et un autre tenant un fromage.
Avant les années 60, l’Abondance fermier était fabriqué uniquement en alpage. L’hiver, le lait était soit transformé en vacherins, soit vendu aux particuliers, aux colonies, aux hôtels, à des coopératives ou à la fruitière de La Chapelle. Confrontées au déclin de l’agriculture et du départ de la main-d’œuvre vers l’industrie dans les années 70, les exploitations agricoles se sont agrandies et, pour être viables, ont misé sur la production d’Abondance. D’où la nécessité d’obtenir l’A.O.C. M.
Maxime Viallet, à l’origine de l’A.O.C. Beaufort en 1968, nous a apporté son précieux concours. En 1985, est créé le Syndicat interprofessionnel du fromage d’Abondance, dont j’ai été le premier président. Notre mobilisation aboutira en mars 1990, avec la parution du décret. La délimitation de la zone d’appellation a longtemps fait débat : au final, elle déborde du Haut-Chablais pour couvrir la majeure partie de la Haute-Savoie. Le lait utilisé ne peut provenir que des vaches de races abondance, tarine et montbéliarde. La production annuelle est aujourd’hui de 1.700 tonnes en moyenne.
– Parlez-nous de la race abondance, la fameuse « vache à lunettes » ?
– Les standards de la race chablaisienne dite Abondance ont été officiellement codifiés en 1891, à La Chapelle-d’Abondance. Présentes dans la vallée dont elles portent le nom depuis le Moyen âge, les vaches se distinguent par une robe pie acajou et du blanc sur les pattes et la tête, avec de belles cornes, et par des lunettes, ces auréoles pigmentées entourant les yeux, qui leur permettraient de mieux supporter la réverbération du soleil et de moins attirer les mouches ! Rustiques, trapues, aux qualités laitières reconnues, elles sont très bien adaptées à nos montagnes.
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